L’histoire de l’édifice
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Jacques Gomboust
Lutetia Paris [détail du palais d’Orléans [palais du Luxembourg] et de l’église Saint-Sulpice], 1652, BNF, Cartes et plans
Au XIIIe siècle, une première église dédiée à saint Sulpice, évêque de Bourges et aumônier de Clotaire II, occupait sensiblement le même emplacement. En raison de l’accroissement de la population du faubourg Saint-Germain, elle fut plusieurs fois agrandie dans le premier tiers du XVIIe siècle, sous la direction de l’architecte Christophe Gamard (mort en 1649). En 1636, celui-ci présenta toutefois un plan de reconstruction totale. Sous l’impulsion du curé Jean-Jacques Olier, fondateur du séminaire de Saint-Sulpice et de la compagnie des prêtres sulpiciens, ce plan fut approuvé en 1643.
En 1646, Anne d’Autriche posa la première pierre de la nouvelle église. Après la mort de Gamard et les troubles de la Fronde, Louis Le Vau (1612-1670) reprit le chantier et reçut l’ordre d’augmenter les proportions de l’église. Il remit par conséquent un nouveau projet, en 1655, que son successeur Daniel Gittard (1625-1686) modifia à son tour. Gittard fut finalement le véritable architecte de Saint-Sulpice : il engagea la construction du chœur, des bas-côtés et du transept. Les travaux s’interrompirent toutefois en 1678, faute d’argent.
François Dumont (1688-1726)
Saint Jean-Baptiste, 1725, pierre, Paris, église Saint-Sulpice, façade du transept sud
Le chantier de l’église reprit grâce au zèle d’un nouveau curé, Jean-Baptiste Languet de Gergy (1674-1750), qui se mit en tête d’achever la construction. Parvenant à convaincre d’utiles donateurs, il réussit à réunir une somme d’argent importante et chargea un élève de Jules Hardouin-Mansart, Gilles-Marie Oppenord (1675-1742), surtout connu comme ornemaniste, de réaliser le projet conçu par Daniel Gittard.
L’architecte éleva d’abord le portail méridional et la chapelle adjacente, d’après les dessins de Gittard, à l’emplacement de l’ancien cimetière paroissial. En 1719, Languet de Gergy convainquit le Régent Philippe d’Orléans, qui avait fait d’Oppenord le directeur des Bâtiments et des Jardins de sa maison, de consacrer les bénéfices d’une loterie à l’achèvement de l’église.
L’architecte poursuivit alors la construction de la nef, des bas-côtés et des chapelles latérales ; puis éleva, en 1724, le portail septentrional de Saint-Pierre, ainsi qu’un campanile octogonal au-dessus de la croisée du transept, qu’il fallut abattre en 1731.
Le sculpteur François Dumont exécuta les quatre statues en pierre destinées à orner les façades des portails latéraux : Saint Pierre et Saint Paul, pour le portail septentrional ; Saint Jean-Baptiste et Saint Joseph, pour le portail méridional.
L’épi de faîtage de la chapelle de l’Enfance-de-Jésus (actuelle chapelle de l’Assomption)
L’église fut ensuite augmentée de deux chapelles, dressées au pied du chevet, l’une au nord, à l’angle de l’actuelle rue Saint-Sulpice et de la rue Garancière ; l’autre au sud, à l’angle des rues Palatine et Garancière. L’architecte Oppenord édifia la première chapelle, dite « de la Communion », qui communiquait avec la chapelle axiale de la Vierge et formait un pendant avec la seconde chapelle, dite aujourd’hui « de l’Assomption ».
La chapelle de la Communion disparut une première fois après l’incendie de la foire Saint-Germain, en 1762, puis définitivement après un second incendie, en 1798. La chapelle de l’Assomption existe toujours et son histoire a récemment été reconsidérée (Peter Kropmanns, Die « Kapelle der Deutschen » an Saint-Sulpice in Paris, Petersberg (Allemagne), Michael Imhof Verlag, 2018).
Édifiée par l’architecte Jean-Baptiste Laurent (1709-1776), originaire de Troyes et attaché au prince de Condé, cette chapelle, d’abord nommée « de l’Enfance-de-Jésus », puis « des Mariages », accueillit, vers 1760 et jusqu’en 1792, la communauté catholique germanophone. Elle devint ainsi la « chapelle des Allemands » et conserva cette dénomination jusqu’aux premières années du XXe siècle.
De l’extérieur, cette chapelle, coiffée d’un étonnant toit en bulbe, retient immanquablement l’attention des passants : ils ne peuvent manquer l’épi de faîtage en bronze à l’effigie d’un pélican nourrissant ses petits de son sang, après voir percé sa propre chair. Symbole de piété et de charité, la figure du pélican renvoie au sacrifice du Christ, versant son sang pour le salut du genre humain.
La porte d’entrée de l’ancienne chapelle de l’Enfance-de-Jésus et son retable d’autel, peint par Carle Vanloo
L’accès à l’ancienne chapelle des Allemands peut s’effectuer par une porte, donnant sur la rue Garancière et sur un corridor. A l’intérieur de l’édifice, il faut pousser une porte à double battant qui, au fond du déambulatoire, s’ouvre sur le même corridor. Rarement ouverte au public, l’actuelle chapelle de l’Assomption est coiffée d’une coupole sur laquelle le peintre Noël Hallé a composé L’Étoile du matin guidant les Rois Mages.
La chapelle de l’Assomption présentait autrefois plusieurs grands retables, dont une Adoration des anges, qui parut, en 2017, dans l’exposition du musée du Petit Palais, Le Baroque des Lumières. Ce beau tableau, que Vanloo envoya au Salon des peintures de l’année 1751 et qui décorait l’autel de la chapelle, est actuellement conservé au musée des Beaux-Arts de Brest.
Michel-Ange Slodtz (1705-1764)
Tombeau de Languet de Gergy, 1757, marbre et bronze, Paris, église Saint-Sulpice, chapelle Saint-Jean-Baptiste
Les marguilliers de la paroisse rendirent hommage à l’action déterminante de Languet de Gergy en passant commande d’un spectaculaire tombeau, qui occupe la cinquième chapelle du bas-côté sud. Le défunt est représenté agenouillé sur son sarcophage, recevant la lumière divine ; à ses côtés, l’Immortalité s’efforce de dissiper les ténèbres, matérialisées par un voile noir, qui s’apprêtent à ensevelir la figure du prêtre. Sur un côté, la Mort, représenté sous l’apparence d’un squelette muni de sa faux, frémit à l’approche de l’Immortalité.
Jean-Nicolas Servandoni
Église Saint-Sulpice. Premier projet de Servandoni, première moitié du XVIIIe siècle, plume et lavis à l’encre de Chine, 34,5 x 28 cm, BNF, Estampes
On ne s’intéressa pas à l’édification de la façade principale de l’édifice avant 1726. Pour son dessin, il fut décidé de lancer un concours auquel plusieurs architectes participèrent. Jean-Nicolas Servandoni (1695-1766) supplanta deux redoutables concurrents, qui avaient, l’un et l’autre, soumis des projets au style décoratif inapproprié : une façade baroque à la manière de Borromini, pour Oppenord, et une façade de style rocaille, pour Jules-Aurèle Meissonnier.
Servandoni se conforma en revanche aux lignes droites de l’architecture classique dessinée par Gittard. Son projet présentait en outre l’avantage d’une solution innovante de deux portiques superposés, bordés de tours latérales.
La façade principale
Selon les préconisations de Servandoni, les colonnes à chapiteau dorique du portique inférieur, accouplées en profondeur, supportent un entablement orné d’une frise à métopes et triglyphes. Les colonnes à chapiteau ionique du portique supérieur, qui constitue une sorte de loggia ou de galerie, supportent un entablement dépouillé, sous une corniche à modillons.
Le portique inférieur
Des colonnes cannelées à chapiteau dorique sont adossées contre le mur situé au fond du portique inférieur. Elles séparent plusieurs arcades en plein cintre qui servent de niches à des sculptures et d’embrasures aux portes. Ces colonnes s’élèvent jusqu’au plafond compartimenté de grands caissons et de plates-bandes ornées de boutons de fleurs.
La sculpture ornementale occupe, au-dessus d’un bandeau mouluré, la partie supérieure du mur sous la forme de grands cadres sculptés à sujet allégorique. Des bustes à l’antique figurant les Évangélistes, insérés dans des médaillons, également sculptés par Michel-Ange Slodtz, se logent dans la partie cintrée des arcades.
Michel-Ange Slodtz
La Force (l’une des quatre Vertus cardinales), 1750-1756, Paris, église Saint-Sulpice, portique inférieur.
Les sept reliefs rectangulaires du portique inférieur illustrent les Trois Vertus théologales et les Quatre Vertus cardinales. Les deux statues de Saint Pierre et Saint Paul, placées dans les niches du mur du fond, ont été exécutées, en 1856, par le sculpteur Émile Thomas (1817-1882).
Le plafond du portique inférieur
Des caissons à renfoncement découpent le plafond du portique inférieur de la façade occidentale. Une frise de grecques se développe sur le pourtour de ces caissons, dont le centre est occupé par des feuilles d’acanthe repliées en bouton et déployées en étoile. La composition ornementale s’adapte ainsi au tracé d’un cercle, inscrit dans un carré, dont les angles portent de semblables feuilles naissant d’un bouton.
Vue de l’église Saint-Sulpice, depuis la rue Férou
Fortement influencé par la cathédrale Saint-Paul de Londres, le dessein de Servandoni demeura inachevé à sa mort. En outre, ses successeurs le dénaturèrent : le fronton imaginé par Servandoni pour couronner la façade, finalement édifié par Pierre Patte en 1766, mais détruit par la foudre en 1770, fut remplacé par une simple balustrade. Les trois statues destinées à orner les trois pointes de ce fronton ne prirent par conséquent jamais place.
Désigné par un nouveau concours, Oudot de Maclaurin succéda à Servandoni pour l’achèvement de la façade. C’est lui qui engagea l’érection des tours sur une base octogonale à fronton arrondi. Contesté, il dut céder sa place à Jean-François Chalgrin en 1772.
La tour sud, laissée inachevée par Oudot de Maclaurin
Le nouvel architecte redessina la tour nord, carrée et à fronton pointu, sans avoir le temps d’intervenir sur la tour sud, laissée inachevée par Oudot de Maclaurin. Les deux tours, l’une achevée et l’autre seulement dégrossie, possèdent un semblable second étage circulaire, mais une base dissemblable. Sur la tour sud, les pierres destinées à être sculptées, sont laissées en réserve.
L’Évangéliste saint Luc, près du taureau, son emblème
Contrairement à la tour sud, la tour nord reçut un décor sculpté, logé entre les colonnes cannelées à chapiteau corinthien du second étage. Deux sculpteurs, Louis-Philippe Mouchy et Simon-Louis Boizot, furent chargés, à partir de 1780, de réaliser les figures des Quatre Évangélistes.
La nef et la croisée du transept
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La nef et le chœur
L’église Saint-Sulpice adopte un plan en forme de croix latine, avec un transept peu visible à l’extérieur. La nef de cinq travées est bordée d’arcades en plein cintre, ouvertes sur les bas-côtés et les chapelles latérales. De gros piliers, sur lesquels retombent les arcades des bas-côtés, portent les hauts pilastres cannelés à chapiteau corinthien ou composite qui supportent l’entablement filant autour de la nef.
Large et peu saillant, le transept précède un chœur en hémicycle, contourné par un déambulatoire. Derrière le déambulatoire du chœur, l’abside est occupée par une grande chapelle, dédiée à la Vierge, de forme elliptique et surmontée d’une coupole.
L’élévation de la nef
L’architecture de la nef, aux lignes épurées, est bordée de pilastres cannelés à chapiteau corinthien qui se dressent entre les grandes arcades ouvertes sur les bas-côtés. Ces piliers soutiennent un entablement dépouillé d’ornementation et coiffé d’une corniche à modillons.
De grandes verrières s’élèvent au-dessus de la corniche de l’entablement. Elles se logent au fond de profondes lunettes qui pénètrent la voûte en berceau de la nef. Les arêtes de ces lunettes dessinent une ligne sinueuse qui rompt avec la sévérité de l’architecture classique de l’édifice.
La croisée du transept et le détail d’un pendentif
C’est à la croisée du transept que le décor rompt véritablement le dessin rectiligne de l’architecture. Elle est en effet coiffée d’une coupole plate, dont les pendentifs sont ornés de hauts encensoirs fumants, posés sur de petits socles.
La coupole sur pendentifs, depuis le déambulatoire du chœur
Quatre médaillons en bois peint alternent avec ce décor sculpté : ils représentent le Christ (vers le chœur) et Melchisédech (vers la nef), par François Le Moyne (1688-1737) ; les figures de saint Pierre et saint Jean-Baptiste, respectivement au nord et au midi, par Claude-Guy Hallé.
Au sommet de la coupole, une colombe entourée de rayons, aux ailes étendues et portant un rameau d’olivier, symbolise l’Esprit Saint.
Edme Bouchardon (1698-1762)
Le Christ à la Croix, 1735, marbre, Paris, église Saint-Sulpice, croisée du transept
Vierge de douleur, 1735, marbre, Paris, église Saint-Sulpice, croisée du transept
En 1734, Languet de Gergy confia à Edme Bouchardon le soin d’exécuter une série de statues monumentales exaltant toutes les figures de l’Église, destinées à prendre place dans la nef et à l’entrée du chœur. Le sculpteur ne réalisa finalement que les statues du chœur, et seulement dix figures sur les douze initialement prévues.
Dans cet ensemble remarquable, le sculpteur français révéla un style monumental et serein, clairement opposé au style baroque et décoratif alors en vogue, notamment chez Michel-Ange Slodtz.
Le bras nord du transept
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Le gnomon ou méridienne (construit à partir de 1737)
C’est également Languet de Gergy qui prit l’initiative de faire installer, dans le bras nord du transept, le gnomon de Saint-Sulpice, qui s’apparente à un obélisque posé sur un haut socle en marbre. Cet outil de mesure utilisé en astronomie permettait de déterminer précisément la position du soleil et, par conséquent, de fixer la date de l’équinoxe de mars et celle de Pâques.
Le prêtre de Saint-Sulpice fit appel aux savants de l’Observatoire de Paris, parmi lesquels Pierre-Charles Le Monnier. Ceux-ci pratiquèrent une petite ouverture (œilleton) dans le vitrail sud du transept, permettant ainsi d’isoler un rayon de soleil. Selon la saison et la hauteur du soleil dans le ciel, le rayon lumineux croise ainsi différentes parties du gnomon.
Lors du solstice d’hiver, il remonte à la verticale le long de l’obélisque et vient frapper le symbole du Capricorne, le 21 décembre. Au moment des équinoxes du printemps et de l’automne, il frappe le « disque d’or » situé à l’entrée du chœur. Lors du solstice d’été, il éclaire une plaque carrée de marbre, située à l’extrémité de la ligne méridienne (bande de laiton), qui file vers l’obélisque.
L’un des crocodiles du gnomon
L’obélisque s’élance entre deux consoles renversées à motifs végétaux. Deux crocodiles en cuivre se logent par ailleurs dans les moulures de sa base. Une sphère surmontée d’une croix domine l’obélisque.
Les bénitiers de Jean-Baptiste Pigalle
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Jean-Baptiste Pigalle (1714-1785)
Piétement en forme de rocher, vers 1754, marbre, Paris, église Saint-Sulpice
Au milieu du XVIIIe siècle, le sculpteur Jean-Baptiste Pigalle réalisa les piètements en marbre de deux grandes coquilles (tridacnes), qui avaient été offertes à François Ier par la République de Venise, afin qu’elles servent de bénitiers. Appliquées contre les premiers piliers de la nef, ces spectaculaires bénitiers reposent sur un piétement à l’imitation de rochers habités de crustacés et d’algues, lui-même appuyé sur un socle de congélations.
La chapelle des Fonts baptismaux
La chapelle des Fonts baptismaux : l’élévation d’une travée, avec L’Innocence
Sous le règne de Louis XVI, Jean-François Chalgrin réaménagea les chapelles situées au rez-de-chaussée des deux tours dans un style purement néoclassique. Pratiquée au rez-de-chaussée de la tour nord, la chapelle des Fonts baptismaux adopte un plan strictement circulaire. Elle est décorée de huit colonnes cannelées à chapiteau corinthien qui encadrent de hautes fenêtres cintrées et quatre niches creusées en cul-de-four.
Tablette d’appui, consoles et guirlande de fleurs
Chaque niche repose sur une tablette d’appui moulurée et deux consoles, qu’une guirlande de fleurs nouée de rubans relie l’une à l’autre. Des frontons pointus et des cadres en relief, représentant des génies, décorent l’espace situé entre les niches et la coupole.
La coupole
Celle-ci, ornée de caissons octogonaux et losangés, repose sur un entablement comprenant deux ceintures végétales et une corniche de consoles à feuille d’acanthe et de roses. Le sommet de la coupole montre la colombe du Saint-esprit dans une gloire.
L’Innocence et La Force
C’est probablement l’architecte Chalgrin qui, en 1777, chargea Simon-Louis Boizot de compléter la décoration de l’église. Boizot sculpta les figures allégoriques de la chapelle des Fonts baptismaux : La Sagesse, La Grâce, La Force et L’Innocence.
Simon-Louis Boizot
Le Baptême du Christ, Salon de 1781, plâtre, Paris, église Saint-Sulpice, chapelle des Fonts baptismaux
Boizot conçut également, pour la même chapelle, une grande composition en forme de retable, représentant Le Baptême du Christ. Elle montre Jésus agenouillé, les bras croisés sur la poitrine, et face à lui, Jean-Baptiste, lui versant l’eau du Jourdain sur la tête en signe de baptême. Une nuée, d’où émergent Dieu le Père et la colombe du Saint-Esprit, occupe, avec quelques chérubins, le registre supérieur.
La chapelle Saint-Jean-Baptiste
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Simon-Louis Boizot (1743-1809)
Saint Jean-Baptiste, 1785, marbre, Paris, église Saint-Sulpice, chapelle Saint-Jean-Baptiste
Boizot contribua enfin au décor de la chapelle Saint-Jean-Baptiste : il réalisa, en 1785, un Saint Jean-Baptiste prêchant, représenté auprès d’un agneau, symbole du sacrifice du Christ.
La chaire de Charles de Wailly
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La chaire à prêcher
Dans le dernier quart du XVIIIe siècle, Charles de Wailly (1730-1798), principal artisan du style « à l’antique », contribua également à la décoration de l’église Saint-Sulpice. En 1788, Emmanuel Armand Duplessis Richelieu, duc d’Aiguillon, lui passa commande d’une chaire à prêcher. L’architecte conçut une chaire défiant étonnamment les lois de la pesanteur. La cuve semble en effet suspendue dans le vide, seulement soutenue par deux escaliers latéraux, qui s’appuient sur de hauts piédestaux.
Chaque piédestal porte une statue en bois doré : La Foi, à gauche, et L’Espérance, à droite. Le décor régulier de rinceaux, d’acanthe et d’oves de la cuve emprunte ses motifs au répertoire décoratif de la fin du règne de Louis XVI.
L’abat-voix est couronné par le groupe de La Charité, sculpté par Jacques-Edmé Dumont, qui réalisa également les reliefs des piédestaux, figurant les symboles des Évangélistes.
Les décors du XIXe siècle
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Antoine Desbœufs (1793-1862)
L’Ange de la prédication, 1850, pierre, Paris, église Saint-Sulpice, croisée du transept
La décoration de l’église Saint-Sulpice, tant peinte que sculptée, se poursuivit tout au long du XIXe siècle. C’est pendant cette période que la plupart des chapelles furent ornées de peintures murales, que l’on appliqua sur les deux parois latérales et la voûte, à l’exception de la chapelle du Sacré-Cœur, qui abrite un grand retable peint par Jean-Simon Berthélémy (1743-1811), représentant Les Peuples du monde entier en adoration devant le Sacré-Cœur.
Plusieurs peintres d’histoire contribuèrent aux différents chantiers : Auguste Vinchon (1789-1855) décora, vers 1822, les fresques de la chapelle Saint-Maurice ; Alexandre-Charles-Guillemot (1787-1831) composa les peintures murales de la chapelle Saint-Vincent-de-Paul ; Michel-Martin Drölling (1786-1851) imagina celles de la chapelle Saint-Paul, dont une étonnante Conversion ; Alexandre Jean-Baptiste Hesse (1806-1879) donna la mesure de son talent dans la chapelle Saint-François-de-Sales ; et Émile Signol (1804-1892) composa les quatre grandes peintures murales du transept.
De nouvelles sculptures vinrent, au même endroit, compléter l’ensemble réalisé par Bouchardon au XVIIIe siècle, notamment la belle figure de L’Ange de la prédication, sculptée par Desbœufs.
Eugène Delacroix (1798-1863)
Héliodore chassé du Temple, 1856-61, peinture à l’huile et à la cire, Paris, église Saint-Sulpice, chapelle des Saints-Anges
En 1849, le peintre d’histoire Eugène Delacroix fut désigné pour composer le décor de la chapelle des Saints-Anges, située à droite de l’entrée principale. Delacroix réalisa plusieurs esquisses préparatoires, qu’il soumit avant d’entreprendre les grandes compositions destinées aux parois de la chapelle et la peinture ovale de la voûte.
Le chantier de décoration de la chapelle s’intensifia après l’achèvement de la galerie d’Apollon, au Louvre, et du salon de la Paix, à l’Hôtel de ville de Paris, pour lesquels Delacroix avait été sollicité. Entre 1855 et 1861, l’artiste entreprit les peintures latérales de la chapelle : Héliodore chassé du Temple et La Lutte de Jacob et de l’ange.
Le cavalier et l’un des deux anges
Héliodore chassé du Temple rapporte l’infortune du « préposé aux affaires » du roi séleucide (Syrie) Seleucos IV, chargé de confisquer le trésor du temple de Jérusalem et chassé, à la prière du grand prête Onias, par un jeune homme et deux anges envoyés par Dieu.
Selon l’exemple des grands maîtres de la peinture (Raphaël, 1511-1512, Rome, musée Vatican, chambre d’Héliodore ; G. de Lairesse, 1674, Cologne (Köln), Wallraf-Richartz-Museum), Delacroix campe la scène dans un temple magnifique. Il représente le moment où Héliodore, renversé par un cheval qui le maintient sous ses sabots, est livré aux verges de deux anges qui le fouettent avec vigueur.
Eugène Delacroix
La Lutte de Jacob avec l’ange, 1856-61, peinture à l’huile et à la cire, Paris, église Saint-Sulpice, chapelle des Saints-Anges
La Lutte de Jacob avec l’ange illustre un épisode biblique du livre de la Genèse au cours duquel Jacob, seul dans la nuit, avant de passer le gué du Yabboq, lutte contre un être lui cherchant querelle. Plutôt que de fuir, Jacob lutte avec persévérance, prend le dessus et résiste, malgré une blessure à la hanche.
Contre qui combat Jacob ? Son mystérieux adversaire s’avère être un ange qui, selon toute vraisemblance, matérialise la parole de Dieu, si difficile à recevoir et à suivre fidèlement. Pressentant l’identité de son adversaire, Jacob lui demande une faveur : une bénédiction (autrement dit une force divine). L’ange accède à la demande de Jacob et lui attribue le nouveau nom d’Israël, sous lequel la descendance de Jacob sera désormais reconnue.
La scène du combat
Delacroix se concentre sur l’attaque frontale de Jacob, le genou haut levé, qu’il campe dans un paysage de sous-bois. Il oppose la musculature puissante de Jacob à la sereine impassibilité de l’ange, et accentue par conséquent l’impuissance de Jacob face au divin.
La nature morte, au premier plan
Au premier plan, à droite, Delacroix dispose une splendide nature morte, composée d’armes (lance, carquois garni de ses flèches, bouclier), de vêtements éparpillés et d’un chapeau de paille à large bord, qui reçoit une lumière plus vive et directe.
Eugène Delacroix
Saint Michel terrassant le dragon, 1856-61, peinture à l’huile et à la cire, Paris, église Saint-Sulpice, chapelle des Saints-Anges
Le célèbre peintre d’histoire composa également un grand ovale entouré d’une bordure dorée feinte, où paraît Saint Michel terrassant le dragon, ainsi que quatre figures en grisaille, logées dans les écoinçons.
La chapelle de la Vierge
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La chapelle de la Vierge
Au-delà du transept, le déambulatoire contourne le sanctuaire et le chœur de l’église, et dessert les chapelles rayonnantes. Selon l’usage, Christophe Gamard dédia la chapelle axiale à la Vierge. Il eut l’idée de lui donner un plan elliptique, que son successeur Le Vau mit en œuvre.
C’est toutefois Servandoni qui contribua, en 1729, à la décoration de la chapelle de la Vierge et Charles de Wailly, qui conçut, en 1774, la niche sur trompe, au-dessus de la rue Garancière. Dans cette niche quelque peu théâtrale, De Wailly plaça une statue de la Vierge à l’Enfant, sculptée par Pigalle : elle illustre le dogme de l’Immaculée Conception, foulant le serpent, symbole du Mal.
La splendide peinture de la coupole, réalisée par François Lemoyne en 1732, représente L’Assomption de la Vierge, entourée d’anges, de docteurs et de saints (dont Pierre et Sulpice), des Pères de l’Église, de vierges. Elle montre également le Père Olier, plaçant ses paroissiens sous la protection de la mère du Christ.
Quatre grands tableaux, peints par Carle Vanloo vers 1746, décorent également les murs de la chapelle : ils représentent L’Annonciation, La Visitation, L’Adoration des bergers et La Présentation au temple. Retirés de leur emplacement, ils ont fait l’objet, en 2016, d’une restauration qui leur a rendu tout leur éclat.
L’autel de la chapelle de la Vierge
Les colonnes de marbre de la niche auraient par ailleurs une origine antique : elles proviendraient en effet de Leptis Magna (« Nouvelle ville »), l’une des villes importantes de la république de Carthage. Données en paiement à Louis XIV, après le bombardement de Tripoli, en 1685, elles furent remployées pour diverses constructions. En 1742, Languet de Gergy en avait prélevées quelques-unes et les avait justement placées dans la chapelle de la Vierge.
Rue Garancière
La tourelle sur trompe abritant la niche surmontant l’autel de la chapelle de la Vierge
Sur la rue Garancière, au chevet de l’église, la niche de la Vierge à l’Enfant cause un décrochement en encorbellement, formant une tourelle sur trompe, coiffée d’un petit dôme.
Les parties hautes
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Vue longitudinale du portique
L’escalier en colimaçon de la tour nord s’élève jusqu’à l’ancien appartement du sonneur, qui servit plus tard d’atelier d’artiste après l’électrification des cloches. Logé dans le soubassement du péristyle haut, il est désormais désaffecté. Après quelques marches supplémentaires, l’escalier de la tour nord conduit au portique monumental, dont la voûte retombe sur de gros piliers quadrangulaires. Ces piliers sont précédés de colonnes à chapiteau ionique, posées sur des socles très élevés, reliés entre eux par des balustrades en pierre.
Trois statues colossales, attribuées à Boizot et Mouchy, décorent le mur du fond du péristyle haut. Sculptées à grands traits pour être lisibles de loin, elles représentent deux allégories, sous l’aspect de jeunes femmes drapées à l’antique, et une figure de saint Sulpice, vêtu de la mitre et de son habit d’évêque.
La « chapelle des Étudiants »
L’escalier en colimaçon permet enfin d’atteindre les salles du soubassement de la terrasse supérieure, puis la chambre des cloches. En 1863, un oratoire ou « chapelle des Étudiants », réservé aux Sulpiciens, fut ouvert dans les salles du soubassement de la terrasse supérieure. Cet oratoire fut doté d’un orgue et d’un autel, qui reçut, en 1876, une statue représentant Notre-Dame-des-Étudiants, sculptée par Jean Bonnassieux (1810-1892). Cette statue montre une Vierge à l’Enfant, assise sur des nuages, la tête inclinée pour observer son jeune auditoire.
A partir de 1894, on y donna des entretiens sur la « méthode dans la recherche de la vie religieuse » (Journal des débats politiques et littéraires, 4 novembre 1894, p. 3).
La « chapelle des Étudiants », transformée en dépôt lapidaire
La « chapelle des Étudiants » fut, comme l’appartement du sonneur, transformée en atelier et en dépôt lapidaire. Elle est aujourd’hui en partie plongée dans l’obscurité, pratiquement oubliée.
La chambre des cloches
Les deux derniers étages de la tour nord, identifiables aux abat-sons, renferment les cinq cloches de l’église Saint-Sulpice. Elles remplacent une sonnerie bien plus ancienne, puisque les premières cloches mentionnées ont été coulées au début et à la fin du XVIIe siècle ; d’autres, coulées en 1781, furent cassées et dispersées en 1791.
Les cloches actuelles sont plus tardives : les unes, coulées en 1824, sont l’œuvre conjoint d’Osmond, Dubois, Barvard et Morlet. Deux autres cloches, datées de 1828, sont exclusivement l’œuvre de la maison Osmond et portent la signature « Osmond fondeur du roi m’a faite à Paris ». Ces cloches ont été baptisées : elles portent les noms de Thérèse (1824), Caroline (1824), Louise (1828), Marie (1828) et Henriette-Louise (1824). Le beffroi de l’église Saint-Sulpice est par ailleurs doté d’une splendide charpente entièrement chevillée sur trois niveaux.